Une histoire de chênes | Massif de la Clape

Carnet d'exploration botanique de la flore du massif de la Clape.

A la recherche des derniers grands chênes de la Clape,
de leur origine, des traces du passé, et de leur futur que nous partagerons.

E vejaicí lo rei, vejaicí l’euse ruste

L’aubre sant, garrut e robuste

Que rèsta siau per tant que tuste

La pus sauvatja brefoniá.

Simbèl de nòstra antica raça

Que s’arrapa au sòu quant tot passa,

Et voici le roi, voici l'yeuse rustique

L’arbre saint, fort et robuste

Qui reste impassible si fort que frappe

La plus sauvage des tempêtes

Symbole de notre race antique

Qui s’accroche au sol quant tout passe.

François Dezeuze, Lous euses de moun mas, 1929

Le chêne, la garrigue et la forêt méditerranéenne

<b>Chêne vert</b> | <i>Vires</i>
Chêne vert | Vires
  • C'est au chêne que la garrigue doit son nom, montrant à quel point cet arbre est le marqueur de ce milieu.
  • En occitan
  • Chêne kermès: avaus, garrolha ou garric (qui est aussi employé pour désigner le chêne en gêneral).
    Gros chêne kermès: garrigàs
    Jeune chêne kermès: garrigòl
    Taillis de chênes kermès: garrolhat
  • Chêne vert (Yeuse): euse
    Gland de chênes verts: eusina
    Plantation de chênes verts: eusièra
    Taillis de chênes verts: eusilha
    Défriché, arracher les yeuses: deseusinar
  • Chêne-liège: siurièr
  • Chêne pubescent (chêne blanc, nom utilisé sur la zone méditerranéenne): blaca

Ce qui est communément appelé garrigue de nos jours est considéré comme un ensemble d'états intermédiaires, de stades d'ėvolution entre une terre dénudée et la forêt dominée par les chênes (forêt méditerranéenne) dans lesquels l'arbre existe sous une forme plus ou moins isolée et le couvert arbustif plus ou moins dense.
C'est en cela que les différents états du massif de la Clape (par exemple entre les pelouses steppiques à Brachypode rameux | garrigue de Moujan, les garrigues basses et hautes, et les chênaies de jeunes chênes verts | Le saut de l'Aigue, sans oublier les pinèdes sur la commune de Gruissan) sont représentatifs de la dynamique du milieu et de son devenir .

L'origine des chênes

C'est une histoire qui a débuté au Crétacé supérieur (66Ma) en Amérique du Nord et en Asie, avec l'identification de fossiles présentant des caractères se rapprochant de ceux de la famille Fagaceae.
Déchiffrer l'évolution qui s'ensuivit, est un exercice des plus complexes. Ceci est dû au fait que le genre présente une grande variation génétique intraspecifique (ensemble des informations génétiques d'une espèce) et de fréquentes hybridations interspécifiques (croisement entre espèces).
Les dernières études génétiques ont permis de préciser les relations qui existent entre les différentes sections du genre Quercus.

Sections & distributions actuelles

De nos jours, plus de 400 espèces de chênes sont comptabilisées peuplant une grande variété d'habitats.


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Les 6 groupes taxonomiques du genre Quercus avec leur distribution actuelle
En rouge, les sections présentant des espèces dans le massif de la Clape

Les scénarios de l'origine

Au début de l'Eocène, l'Eurasie et l'Amérique du Nord étaient connectées par les ponts terrestres. Il est très difficile de se prononcer sur le sens de migration Eurasie vers Amérique ou le contraire.
Deux scénarios ont été émis pour tenter d'expliquer l'origine du chêne:
Une origine asiatique
Le genre serait apparu dans le Sud-Est asiatique dérivant du genre Trigonobalanus pendant le Paléocène.
Ensuite s'effectua une migration dans deux directions:

  • Avant l'Eocène: vers l'Europe et l'Amerique du Nord via le pont terrestre de l'Amérique Nord (NALB: North America Land Bridge)
  • Après le Miocène: via l'isthme paléogéographique de Bering (BLB: Bering Land Bridge)

Une origine septentrionale
Le genre aurait dérivé des forêts boréales décidues existant dans tout l'hémisphère Nord au début du Paléocène.
La différenciation du genre s'effectua ensuite au fur et à mesure des évènements climatiques et géologiques.

  • En Asie: Différenciation des sections Cyclobalanopsis - Cerris et migration de cette section vers l'Europe
  • En Amérique: Différenciation des sections Protobalanus, Lobatae et Quercus et migration de cette section vers l'Europe

Une approche phylogénétique

  • Phylogénie: Décrit l'histoire évolutive d'un groupe d'êtres vivants en retraçant l'ordre d'apparition des innovations et les degrés de parenté, définissant ainsi un ancêtre hypothétique. Elle permet de répondre à la question "qui est le plus proche de qui" et non pas "qui descend de qui".
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Évolution et divergence des lignées des chênes (Grímsson et al. 2015)

L'histoire du groupe Ilex en Europe

Une origine asiatique

  • La plus ancienne présence avérée du genre Quercus en Europe est datée de la transition Paléocène-Eocène (55Ma)
  • D'origine probable Asie de l'Est via le corridor Tibet-Himalaya, on trouve en Europe centrale des traces de Quercus Ilex au début de l'Oligocène (pollen) et au début du Miocène dans l'Est de la Méditerranée (Après 23 Ma). Cette progression est le résultat des modifications générées par la disparition de la mer Tethys et l'évolution de la mer Paratethys.
  • Zone refuge: territoires où des populations végétales ou animales ont pu persister durant les épisodes glaciaires-interglaciaires du Pléistocène.
  •   A l'Oligocène |33,7-23,5 Ma:
    Venant d'Asie, il se répand dans toute l'Europe mėridionale
  •   Au Miocène | 23,5-5,3 Ma:
    Rétractation vers les zones méditerranéennes
  •   Pendant la glaciation de Würm | 115000-11700 ans:
    Persiste dans la rėgion méditerranéenne, dans des zones refuges du Maghreb.
  •   A l'Holocène | 11700-6000 ans:
    Le chêne vert se développe à partir des zones refuges via les voies de migration orientale ou occidentale, mais l'expansion reste limitée du fait de la concurrence avec les chênaies caducifoliées (Chêne pubescent).
  •   A l'Holocène, Néolithique | 6000-3600 ans:
    Les chênaies de Chênes verts deviennent prépondérantes, supplantant le Chêne pubescent du fait des activités humaines et du climat.

L'histoire reconstituée des chênes dans la Clape

Les chênes fossiles de l'Oligocène d'Armissan, les ancêtres des chênes rouges.

Une vue sur la végétation et le climat local à travers les fossiles
  • En Europe, la section Lobatae (les chénes rouges) est présente dans les écosystèmes cénozoïques.
  • À Armissan, le genre Quercus se situe à la 20ième place dans l'ordre de prédominance, les genres Pinus, Anoectomeria, Cinnamomum et Sequoia étant ceux les plus présents.
    La flore fossile d'Armissan

Au Rupélien, la végétation d'Armissan est caractéristique d'un régime tempéré chaud, à mousson d’été et les sept espèces du genre Quercus identifiées par Gaston de Saporta en 1865, présentent toutes des affinités avec la section actuelle Lobatae, les chênes rouges (présente aussi en Amerique du Nord à la fin de l'Eocène).


  • De nos jours, les représentants de la section Lobatae se retrouvent uniquement en Amérique

Au Néogène, la baisse des températures repousse ce groupe vers le sud bloquant dans un premier temps l'accés aux ponts terrestres, puis dans un second temps, conduisant à son extinction en Europe.



Détermination de la section par comparaison des spécimens fossiles avec les espèces actuelles


Espèce fossile Espèce analogue actuelle
Sous-genre/section (distribution actuelle)
Quercus elaena Ung.
Chêne gris
Quercus/lobatae (Mexique)
Quercus elaena Ung. vs Quercus cinerea © MNHN
© MNHN
Quercus magnoliaeformis
Chêne à feuilles de laurier
Quercus/ Lobatae (Amérique septent.)
>Quercus magnoliaeformis vs Quercus imbricaria Wild. © MNHN
© MNHN
Quercus sinuatiloba Sap.
Chêne d'eau
Quercus/ Lobatae (Amérique septent.)
>Quercus sinuatiloba Sap. vs Quercus aquatica © MNHN
© MNHN
Quercus armata Sap.
Chêne de Banister
Quercus/ Lobatae (Amérique septent.)
>Quercus armata Sap vs Quercus banisteri Michx © MNHN
© MNHN
Quercus oligodonta Sap.
Chêne digité
Quercus/ Lobatae (Amérique septent.)
>Quercus oligodonta Sap. vs Quercus falcata Michx. © MNHN
© MNHN
Quercus spinulosa Chêne à feuilles aiguës
Quercus/ Lobatae (Amérique centrale, Mexique)
Quercus neriifolia Chêne de Virginie
Quercus/ Lobatae (Amérique)

Les ancêtres des chênes vert & kermès au Miocène, 23.5-5.3Ma

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Hypothèse de l'origine du chêne vert et du chêne Kermès
  • Les conditions climatiques méditerranéennes (augmentation de l'aridité et de la saisonalité) ne commencent à s'installer qu'à partir du Miocène, il y a environ 10Ma, caractérisées par une végétation de type sclérophylle, mais c'est surtout au Pliocène (entre 3.5 et 2.4Ma) qu'elles sont complètement établies.

Il est difficile de déterminer l'origine des chênes sclérophylles méditerranéens (Q. coccifera & Q. ilex) dont les traces fossiles en France sont datées de 5.3-3.6Ma, mais les éléments ci-dessous permettent de l'éclairer.

  • L'origine asiatique des chênes méditerranéens est confortée par les affinités avec certains chênes himalayens présentant par la même, une origine commune.
  • Deux espèces éteintes, Quercus mediterranea et Quercus deymeja, sont présentées comme étant les ancêtres du chêne kermes et du chêne vert actuel.
  • Les plus anciennes traces du Quercus mediterranea datent de l’Eocène (-40.4 à -37.2 millions d’années).
    En Europe centrale, Q. mediterranea se trouve dans des assemblages de plantes fossiles à la fin du Miocène moyen.
    À la fin du Miocène et au Pliocène, il se retrouve du sud de la France à la Grèce.
Quercus Med © MNHN
© MNHN
Quercus Med © MNHN
© MNHN

Q. mediterranea

Les chênes du massif de la Clape

① Chêne vert ② Chêne kermès ③ Chêne pubescent
Feuilles des cênes
Feuilles | formes adultes

Au pied des éboulis Chêne vert
Chêne vert au pied des éboulis | Figuières
Principales chênaies
Principales chênaies | Massif de la Clape

Les principales chênaies de chênes verts sont situées sur les communes de Narbonne, Fleury et Vinassan.
En dehors de ces concentrations, on trouve aussi comme sur la commune de Gruissan des éléments isolés ou des formations marginales:

  • Au pied des falaises et à proximité de la partie supérieure des éboulis
  • Sous forme de taillis sur les plateaux.

La capacité du chêne vert à rejeter lui permet de s'y maintenir.

Rejets du Chêne vert
Rejets du Chêne vert | Combe longue
Taillis de chênes verts
Taillis de chênes verts | L'Hospitalet

Les espèces présentes dans la Clape

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① Chêne vert

Feuilles: alternes, coriaces, petites de forme variable (entières, dentées ou épineuses) avec un pétiole court, vert foncé, luisantes sur le dessus (adaxial), pubescentes et blanchâtres dessous (abaxial), pourvues le plus souvent de 10 (7-14) paires de nervures latérales..
Cupule: hémisphérique, grise-tomenteuse, à écailles toutes appliquées
Quercus ilex
Territoires phytogéographiques du chêne vert
(Chorological maps for the main European woody species) | Caudullo, G., Welk, E., & San-Miguel-Ayanz, J., 2017

Chêne vert ou chêne ballote: les diffėrences visuelles

  • Signification des mots
  • ballote
  • Arbre endémique de la péninsule ibérique et du Maghreb.
    Du grec ancien βαλλωτή, ballôtê, en arabe Al-ballūṭ, abellut أَبَلُّوط, (chêne)
  • pubescente
  • Couvert de poils fins et courts
  • suborbiculaire
  • presque arrondi

On constate un polymorphisme important chez le Quercus Ilex. Quercus ilex subsp. ballota s'hybride très facilement dans la nature avec l'espèce type Quercus ilex subsp. ilex ce qui se traduit en Languedoc Roussillon par un morphotype intermédiaire.
La feuille du Quercus ilex subsp. ballota est suborbiculaire à elliptique ou oblongue (1-2,5 x 2-3 cm), avec la face supérieure pubescente et de couleur vert gris, pourvue de 5 à 8 paires de nervures latérales. La différence la plus marquante se fait au niveau des glands qui sont plus longs et effilés que ceux du Quercus iles subsp. ilex.

Quercus ilex
(Février)
Quercus ilex
(Février)
Quercus ilex
(Février)
Quercus ilex
(Avril)
Quercus ilex
(Octobre)
Quercus ilex
(Novembre)
Quercus ilex
(Novembre)

La floraison du chêne vert
floraison: monoïque au printemps. Les fleurs mâles sont des chatons pendants sous les jeunes feuilles. Les fleurs femelles se retrouvent sous la forme de petites protubérances à l'extrémité des jeunes rameaux
Quercus ilex floraison
Quercus ilex floraison
Floraison en Mai: Fleurs mâles en chatons pendants | Quercus ilex


② Chêne Kermès

Feuilles coriaces, petites de forme ovale-oblongue, bordées de dents épineuses avec un pétiole court, vert luisant sur le dessus et le dessous.
Cupule couverte d'écailles rigides, nombreuses, terminées en pointe aiguë
Quercus coccifera
Territoires phytogéographiques du chêne kermès
(Chorological maps for the main European woody species) | Caudullo, G., Welk, E., & San-Miguel-Ayanz, J., 2017

Quercus Coccifera
(Janvier)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera
(Février)
Quercus Coccifera: galle Plagiotrochus quercusilicis
Galle Plagiotrochus quercusilicis (Avril)
Quercus Coccifera
(Mai)
Quercus Coccifera
(Mai)
Quercus Coccifera
(Août)
Quercus Coccifera
(Décembre)

La floraison du chêne kermès en Avril
Quercus coccifera floraison
Quercus coccifera floraison
Floraison en Avril | Quercus coccifera


Quercus ilex
Comparaison des Chênes de la section Ilex | floraiberica.es

③ Chêne pubescent

  • Supplantées par les chênes verts sur les terres calcaires, ces chênaies se retrouvent principalement sur les terrains gréseux de Capoulade et de Vinassan
  • Chêne pubescent ou chêne tauzin
    Lorsque la feuille est développée, elle présente chez le chêne tauzin des poils fasciculés sur la face adaxiale contrairement à celle du chêne pubescent. Sur une feuille immature, ces deux espèces présentent le même type de trichome (fasciculé) sur les deux faces.
  • Fasciculé: réunis en faisceau
Feuilles Feuilles alternes plus ou moins lobées à base cordiforme pourvu d'un court pétiole, glabre et dépourvues de tout poil foliaire sur le dessus, duveteuse blanchâtre dessous.
Cupule grisâtre écailleuse et tomenteuse.
Quercus pubescent
Territoires phytogéographiques du chêne pubescent
(Chorological maps for the main European woody species) | Caudullo, G., Welk, E., & San-Miguel-Ayanz, J., 2017
Quercus pubescens
(Mars)
Quercus pubescens
(Mars)
Quercus pubescens
(Mars)
Quercus pubescens
(Avril)
Quercus pubescens
(Avril)
Quercus pubescens
(Août)

Les chênes dans la toponomie de la Clape

S'il existait des toponymes relatifs au chêne, peu nous sont parvenus. Deux metairies sur la commune de Gruissan sont indiquées au XVIIIe siècle.

  • Albigairou: XVIIIe siècle, Toponymie de végétation: de alba garrolha, les chênes blancs.
    Localisation approchée dans le secteur sud de Saint-Obre, vers les Caunes.
    Les arbres-blancs: Le nom de cette métairie située dans le même secteur, fait aussi référence aux chênes blancs

Les derniers grands chênes du massif de la Clape

Dans les territoires de la Clape

Il s'agit la plupart du temps de sujets isolés.

Quercus ilex
Chêne vert | Figuières

Quercus ilex
Chêne vert | Saint-Martin

Quercus ilex
Chêne vert | Rec d'Argent

Quercus ilex
Chêne vert | Saint-Martin

Le second chêne du Rec
Chêne vert | Rec d'Argent

Quercus ilex
Chêne vert | Les Treilles

Quercus ilex
Chêne vert | Rec d'Argent

Quercus ilex
Chêne vert | Goutine

Quercus ilex
Chêne vert | Cirque du Figuier

Quercus ilex
Chêne vert | Cirque du Figuier

Quercus ilex
Chêne vert | Pech Rouge

L'exception Gruissanaise du chêne liège

Quercus suber
Chêne liège | La Sagne

L'activité humaine, les chênes et l'anthropisation de la Clape

Un milieu occupé et exploité

Anthropisation: modification d'un milieu naturel par les activités humaines. On a désigné sous le nom d'anthropocène, la période qui débute selon certaines études, au Moyen-Âge au cours de laquelle, l'action de l'homme sur la nature (défrichement, construction, ...) dépasse les modifications induites naturellement sur les ecosystèmes.
  • Le vocabulaire
  • Lignerer: Action de couper et de ramasser le bois. Droit de lignerage.
  • Bosquerer: Action de couper le bois qui donnera bouscatier, bucheron.
    Du latin médiéval boscaderius, boscairare, de boscus bois.
  • Essarter: Défricher une terre en arrachant et, éventuellement, en brûlant les bois et les broussailles.
    Du bas latin exsartum, défrichement
  • Devèse, défens (ou défends): Pâturage ou terre réservé, terre interdite au pâturage du bétail d'autrui.
    Du latin defensum, de l'occitan devés ou devesa

Dans le Languedoc, l'homme du Moyen-Âge hérite d'une forêt constituée majoritairement de chênes à feuilles caduques (chêne pubescent) et de chênes verts pendant l'Holocène.
C'est au cours de cette période que l'exploitation de la forêt à usage domestique (lignerage, dépaissance) ou artisanal (teinture, bois de chauffe ou de construction) s'intensifie.
Cette comsommation de la ressource naturelle va s'accompagner d'une augmentation des défrichements (IXe - XIe s.) pour les paturages ou le bois, conduisant à de nombreux litiges et conflits de délimitation des terres de la Clape tels qu'ils sont reportés dans les actes communaux. Ceci va entrainer une réglementation des droits d'usage allant jusqu'à l'interdiction de la coupe ou de l'écorchage des chênes verts ("faire ruscas") et la mise en défens de terres.
Le Moyen-Àge tardif est marqué par une augmentation importante des élevages qui accentuent la dégradation des forêts de la Clape.
La pratique de l'essartage, comme celle de la consommation du bois, a eu un effet dévastateur sur les sols maigres de la Clape qui ont été ravinés et appauvris.

La tannerie & la draperie

  • En gaulois
  • Le chêne, tanno
    L'écorce, rusca
L'utilisation de l'écorce du chêne pour tanner (rendre imputrescible) le cuir

L'écorce de chêne vert, "rusc" riche en tanin permettait d’obtenir de la poudre, le tan "rusca", qui rendait imputrescible les peaux. Celle-ci était tiré de l'Yeuse (acide quercitannique présente aussi dans les feuilles).
L’arbre était proprement écorcé par les "ruscaires" nom donné aux écorceurs.
L'écorce du chêne Kermés "garrolhàs, garrolhat" pouvait aussi être utilisée mais c'est surtout les racines (garouille) qui sont très riches en tanin.
Les écorceurs se nommaient "garrolhaires".

Le Kermès des teinturiers
  • Origine du mot kermès
  • De κόκκου, kokkos en grec signifiant baie,(Dioscorides, Pausanias), de coccum ou granum en latin
    cusculium (Pline, HN livre 16, XII)
  • De kirmis en persan signifiant rouge foncé (⇒ carmin), qui à l'origine désignait un autre insecte tinctorial: la cochenille d'Arménie
  • Au Moyen-Âge
  • Vermiculus: le petit ver ⇒ vermeil
  • Grana, graine d'écarlate (de la forme de la cochenille)
  • En Catalan
  • Coscolh

C'est de la cochenille qui parasite exclusivement le chêne kermès qu'est extrait une teinture rouge eclatante particulièrement appréciée.
La cueillette de la "graine" est mentionnée dès l'Antiquité par Dioscoride (Kokkos baphike in "de Materia Medica", Ie s. ap. J.-C.) en Anatolie. On retrouve cette mention en Espagne au Xe siècle et dès le XIe siècle dans la région Narbonnaise.
Au XIIIe siècle, elle fera la renommée des métiers de draperie de Narbonne (draps vermelh de grana).


Au XIVe siècle, les actes mentionnent les usages autorisés aux habitants des lieux tel que la cueillette de la cochenille, sur des territoires bien définis. Il y est en revanche interdit d'écorcer les chênes.

1329

Transaction passée Jean Margalion, Jean Dardenc, Arnaud de Bages, Pons Bédos et Pierre Bérenger, consuls de la Cité, et Hugues Lager, précepteur de la maison de Saint-Pierre de la Mer, de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, sise dans l’île del Lec, au sujet de leurs prétentions respectives aux droits de propriété, seigneurie et jouissance, dépaissance et lignerage, cueillette du vermillon, censes et foriscapes, dans les tènements de l'île del Lec
Archives communales de l'Aude série AA f°265, 1329


1345

Transaction entre les consuls de Narbonne, d'une part, et l'archevêque de Narbonne et les habitants de Gruissan d'autre part, sur le délimitation de leurs pacages.
La portion exclusivement attribuée aux habitants de Gruissan, tant pour la dépaissance que pour l'abreuvage des bestiaux, pour la stabulation, pour la faculté de ramasser le vermillon, mais sans aucun droit d'y faire ruscas, est délimitée.
Archives communales de l'Aude série AA f°53, 1345

L'utilisation du Kermès va progressivement être supplantée par celle de la cochenille du Mexique (connue depuis l'époque précolombienne, ramenée par les Espagnols à partir du XVIe siècle), du fait de sa capacité à être élevée (à l'inverse du Kermès).

De nos jours, le kermès des teinturiers est devenu très rare sur le pourtour méditerranéen et n'est plus observé dans la Clape.


La chaux et le charbon de bois

Le bois en tant que combustible
  • Bouscatier: bucheron
  • Chaufourniers: Celui qui travaille dans un four à chaux, ou qui exploite un four à chaux

Deux activités dans la Clape sont identifiées comme consomatrices de bois dès le Moyen-Àge. La première est le lignerage, la seconde est la fabrication de la chaux dont l'activité perdurera au moins jusqu'au XVIIIe s. comme en témoignent les nombreux fours à chaux mentionnés sur les cartes de l'ėpoque.

Quelques fours à chaux dans la seconde moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle
Quelques fours à chaux, sud du massif | Seconde moitié du XVIIIe siècle

L'implantation des fours à chaux répond toujours à une logique locale d'utilisation en relation avec une ressource disponible aux alentours immédiats.

Four à chaux  de Saint-Martin le Bas | XI<sup>e</sup>-XII<sup>e</su> siècles
Four à chaux de Saint-Martin le Bas | XIe-XIIe siècle
Les analyses anthracologiques effectuées sur le four à chaux de Saint~Martin le Bas près de Gruissan, ont mis en évidence les taxons utilisés au cours de son exploitation (XIe-XIIe s.). Dans un premier temps principalement à base de chêne vert-chêne kermès, le combustible utilisé à la fin est majoritairement du Pistachier lentisque certainement en relation avec la raréfaction des taxons arboréens dans l'environnement proche et son remplacement par ce qui reste disponible.
Quelques fours à chaux dans la seconde moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle
Four à chaux de la Caboujolette | Fleury

La symbolique et le sacré du chêne

Le chêne, symbole de la force et de la puissance, est un arbre sacré dans de nombreuses civilisations, l'arbre de Zeus-Jupiter chez les grecs et les romains.
  • En latin
  • Lucus, nemus bois sacré
  • Ilex chêne vert
  • Ilicetum, iletum Chenaie
  • En grec ancien
  • ἄλσος bois sacré, alsos
  • δρῦς chêne, drus, drys (mot générique qui s'est spécialisé)
  • πρῖνος chêne kermès ou chêne vert (Q. ilex), prinos
  • ἀρία chêne vert (Q. ilex), aria

Les chênaies en tant que lieux cultuels sont présents dans l'Antiquité sous les désignations alsos (ἄλσος) chez les grecs, et lucus chez les latins (termes signifiant bois sacrés, pas uniquement limités aux chênes). Le chêne est l'intermédiaire du dieu auquel il était consacré.

Quercus ilex
Chêne vert | Vires
Au VIIIe siècle av. J.-C. | Le bois sacré de Dodone et le chêne oraculaire de Zeus

Dans la région d'Epire, le sanctuaire de Dodone est le plus ancien oracle de Zeus. Zeus s'adresse aux mortels par l'intermédiaire d'un chêne dont le bruissement des feuilles est interprété (dendromancie).

Phédon me dit encore qu'Ulysse était allé dans la forêt de Dodone pour consulter le chêne au feuillage élevé (δρῦς), et savoir s'il retournerait ouvertement ou en secret dans l'île d'Ithaque, après une si longue absence.
Homère, L'Odyssée XIV, VIIIe siècle av. J.-C.
Il y a assurément en Thesprotie bien des curiosités qui méritent la visite, tout particulièrement le sanctuaire de Zeus à Dodone et le chêne sacré (φηγός) du dieu. Pausanias, Périégèse, I, 17, 5,. IIe siècle ap, J.-C.
  • Le sanctuaire de Dodone date du début de l’âge du bronze et de l’époque mycénienne (3000-1100 av. J.-C.).
    Le chêne (ou un descendant) est cité jusqu'en 391 ap. J.-C. date à laquelle il fut coupé sur ordre de Théodose Ier, qui interdisait les cultes païens
Identification de l'espèce du chêne de Dodone

Plusieurs réflexions sont faites sur l'identification de l'espèce nommée à l'origine par les Anciens φηγός phêgos, (Hésiode, frag. 240M.-W, catalogue des femmes, puis Sophocle, terme aussi utilisé par Pausanias), qui pourrait s'appliquer soit au Q. ithaburensis subsp. macrolepis (syn. Q. aegilops, ) (chêne vélanède ou chêne vélani appartenant à la section Cerris) soit au Q. trojana (chêne de Troie, chêne de Macédoine appartenant aussi à la section Cerris).


Au VIIIe siècle av. J.-C. | Jupiter Férétrien: Le chêne vert sacré de Rome

Dans la Rome antique, le chêne était consacré à Jupiter.
C'est sur le Capitole, l'une des 7 collines de Rome que le temple de Jupiter Férétrien fut construit, là où était le chêne vert le plus ancien de Rome, considéré comme sacré. C'est aussi sur cette même colline que Tarquin le Superbe fit bâtir le temple de Jupiter Capitolin.

Si Romulus en imposait par ses exploits, il était tout aussi porté à en faire étalage : il suspendit à un brancard, spécialement fabriqué à cet effet, les dépouilles du chef ennemi qu'il avait tué et les porta au sommet du Capitole. Là, il les déposa au pied d'un chêne (quercus) vénéré par les bergers. Tout en faisant cette offrande, il délimita l'emplacement d'un temple à Jupiter et invoqua le dieu sous cette nouvelle appellation: "Jupiter Férétrien, c'est moi Romulus, le roi vainqueur, qui t'apporte les armes d'un roi et, sur l'aire qu'en esprit, je viens de mesurer, je te consacre un temple pour y accueillir les dépouilles opimes de rois et chefs ennemis tués qu'à mon exemple, mes descendants t'apporteront." Tite-Live, Histoire Romaine I, 40. Ie siècle av. J.-C.

Au IVe siècle av. J.-C. | La forêt sacré des Etrusques: la silva Ciminia (la forêt de Ciminian)

C'est une forêt de chênes qui s'étendait des portes de l'Urbs jusqu'aux lacs de Bracciano et Vico, et au territoire des Falisques.
Cette forêt était sacrée pour les Étrusques à cause de la grandeur des chênes verts.


Au IVe siècle av. J.-C. | Le chêne de Vaticanus

Sur le mont Vatican, dont Aulu-Gelle rappelle le passé cultuel "On a coutume de dire que le mot Vatican doit son nom aux oracles (vaticinia) qui s'y rendaient fréquemment et que l'on croyait devoir à la divinité", Pline rapporte qu'il y avait une yeuse (ilex) plus ancienne que Rome, qui était l'objet de la vénération des hommes, faisant de ce lieu, un lieu de divination.

LXXXVII
Une yeuse (ilex) dans le Vatican est plus vieille que Rome: une inscription gravée sur une table d'airain, en lettres étrusques, apprend que cet arbre était dès lors l'objet d'un culte religieux.
(texte d'origine)
Pline, histoire naturelle, Livre XVI, 87

Au IVe siècle av. J.-C. | Le lucus de Diane de Corné, à Tusculum

Près de Tusculum, le sanctuaire de Diane était un bois sacré de hêtres du nom de Corné, à côté duquel selon Pline un chêne vert imposant se trouvait.

XCI
Dans le territoire de Tusculum. près d'un faubourg, sur une colline nommée Corne, est un bois consacré de temps immémorial par le Latium à Diane: ... Dans le voisinage de ce bois est une yeuse (ilex) qui a aussi du renom : le tronc a trente-quatre pieds de tour, il donne naissance à dix branches dont chacune ferait un arbre d'une grosseur remarquable, et à lui seul il forme une forêt.
(texte d'origine) Pline, histoire naturelle, Livre XVI

Glossaire

  • Petit Lexique botanique
  • Chênaie: forêt de chênes ou riche en chênes (Quercus sp. pl.).
  • Climax: stade terminal théorique de tout écosystème évoluant spontanément; le climax est fonction des facteurs physiques, essentiellement du climat et du sol.
  • Thermophile: se dit d'une plante adaptée aux environnements chauds
  • Xérophile: qui pousse sur des sols secs.
  • Sclérophylle: Qui a les feuilles coriaces à cuticule épaisse
  • Morphotype: Ensemble des caractères morphologiques permettant de classer des êtres ou des choses par catégories
  • Phylogénie: Étude des relations de parenté (dites relations phylogénétiques ou phylétiques) entre êtres vivants permettant ainsi de représenter l'évolution de ces organismes.

Pour en savoir plus

Paléobotanique
2. G. de Saporta Etudes sur la végétation du Sud-Est de la France à l'époque tertiaire, Partie II Annales des sciences naturelles, Botanique 1865 (SER5,T3). Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque nationale de France.
3. G. de Saporta Etudes sur la végétation du Sud-Est de la France à l'époque tertiaire, Partie III Annales des sciences naturelles, Botanique 1865 (SER5,T4). Source Biodiversity.org.


Auteurs anciens
1. Pline l'ancien Histoire naturelle livre XVI: Caractères des arbres sauvages. À propos du chêne.
2. Virgile Géorgiques livre II les arbres et la vigne, entre 37 et 30 av. J.-C
3. A propos des kermès, Isidore de Seville. Etymologiarum libri XX/Liber XIX, 600-625
4. Le bois sacré de Yeuses, M. Val. Martial. Épigrammes, Livre IV, LV

Le chêne sacré de Dodone
4. Eschyle Prométhée enchaîné
2. Homère Odyssée chant XIV: Ulysse et Eumée
3. Sophocle Les Trachiniennes, premier épisode: Déjanire


XVIIIe siècle
1. Jean Astruc Mémoires pour l'histoire naturelle de la province du Languedoc, 1737

Histoire et monographies du XIXe - XXe siècles
1. Michaux, François-André Histoire des chênes de l'Amérique, 1801. Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque nationale de France.
2. Camus, Aimée. Les chênes: monographie du genre Quercus, Éditeur: Paul Lechevalier, Paris, 1936-1954
3. Amoreux, Vincent MS095 Histoire générale et particulière des chênes, 1877. Montpellier Méditerranée Métropole
4. Amoreux, Vincent MS096 Histoire générale et particulière des chênes, 1877. Montpellier Méditerranée Métropole
5. Amoreux, Vincent MS097 Histoire générale et particulière des chênes: atlas, 1877. Montpellier Méditerranée Métropole
6. Th. Rousseau Monographie du chêne vert, 1876
7. A. Coutance Histoire du chêne dans l'antiquité & dans la nature; ses applications à l'industrie, aux constructions navales aux sciences et aux arts, etc, 1873

1. Quercus portal: A european genetic and genomic web resources for quercus
2. Rabaa, Claudine. Le chêne vert, le chêne-liège et autres chênes méditerranéens, Actes Sud, 2008
3. Larguier, Gilbert. Le drap et le grain en Languedoc : Narbonne et Narbonnais 1300-1789. Perpignan : Presses universitaires de Perpignan, 1999
4. Cardon, Dominique Le mystère résolu du Kermès, Archaeology and history in Lebanon, issue nineteen, spring 2004
5. Tillon, Laurent. Être un chêne: Sous l'écorce de Quercus, Actes Sud
Archéologie médiévale 1. Christophe Vaschalde, Guillaume Duperron et Aline Doniga Le four à chaux FR 1430 de Saint-Martin-le-Bas (Gruissan, Aude)