Carnet d'histoire du domaine et du paysage de Capitoul au bas Moyen Âge
A l'origine était le Lacus Rubresussur les rives duquel se trouvait le territoire de Ranmar
λίμνη Ναρβωνίτις (Étienne de Byzance, s. v. Ναρβών, peut-être d’après Hécatée),
Lacus Rubresus (Pomponius Mela, Description de la Terre, Gallia Narbonensis, II, 81), Ie siècle
Lacus Rubrensis (Pline, L’Histoire naturelle, III, 32), Ier siècle
l’étang des Quatre-Îles (Festus Avienus, Ora Maritima, 583 et suiv.), IVe siècle,
Helice Palus (Festus Avienus, Ora Maritima, 585 et suiv.), IVe siècle
Stagnum de ipso rivo Atacis, 1048
Stagnum quod dividit Corbariam, 1221
C'est sur une petite éminence des premiers contreforts du massif, que se situe le domaine de Capitoul. C'est l'un des plus anciens du massif de la Clape avec celui des Monges, dont l'existence remonte au XIIIe siécle.
L'histoire connue du territoire de Capitoul débute au Moyen Âge. Elle est indissociable de l'histoire du fleuve Aude et des étangs, restes du Lacus Rubresus, vaste lac qui à l'Antiquité, entourait le massif de la Clape. La vie de la bastide a été rythmée, marquée et bouleversée par ces éléments naturels et a su, malgré tout, perdurer.
Capitoul, 1586
du nom du Chapitre Saint Just qui l'avait acquise en 1412
du latin médiéval capitulum,
de l'occitan capítol
Le nom de Capitoul n'apparaitra que dans la seconde moitié du XVIe siècle. Le domaine actuel est reconnaissable de loin par le donjon de son bâtiment principal qui date du XIXe siècle.
Les lieux constitutifs du territoire de la bastide de Ranmar au bas Moyen Âge.
Le territoire de la bastide de Ranmar se situe au bout des Basses-Plaines de l'Aude en direction de Gruissan à proximité de territoires (le fief de la Leigne, le lieu-dit le Bruguier, le tènement des Olieux et la dévèze de Navoute) dont les limites nous ont été décrites.
- XIIIe - XIVe siècles
- Les invariants
- Le Pech Ranmar, podio vocato de Ranmar, qui a donné son nom au domaine
- La source salée, Fons Salsus
- Le chemin de Narbonne à Gruissan, carriere de Gruyssan
- Les variants
- L'étang Sesquière, Stagnum Cescheyra
- L'étang Comtesse, Stagnum Contessa
Les confronts
En 1352, le territoire de la bastide de Rieumar est décrit de la manière suivante:
"Confronte le tout de midi avec l'étang de Conilhac, d'auta avec la montagne del Lec et avec le chemin de Gruissan, d'aquilon avec l'étang Comtesse, de cers avec l'étang Cescheyra, plus deux condamines au terroir de Cité à la Leinhe"
Les repères oubliés
La source salée (fontaine salée)
- Palanquissa (de palanque)
- Palissade faite de troncs plantés dans le sol de manière jointive.
Il s'agit ici d'un petit canal qui portait ce nom. "aculea vocata Palanquissa"
Au nord, se trouve la draye de la Clape qui a pris de nos jours le nom de chemin du milieu.
Au XVIIe siècle, ce lieu sera connu sous le nom de "Pas de la Palanquisse" ce qui signifie gué, passage de la Palanquisse.
Marqueur important du domaine de Capitoul, cette source est mentionnée au XIVe siècle en tant que repère (usque ad fontem Salsum exclusive et versus Loniam, 1396). Elle continuera de l'être jusqu'au XIXe siècle avant d'être peu à peu oubliée.
"Item dicti domini tractatores voluerunt quod fons Salsus, prout confrontatur cum dicto terminali de Bruguerio et
de altano cum tenentia bastide Raymundi de Lacu,
de circio cum Palanquissa,
de meridie cum stagno vocato Campinhol,
de aquilone cum Joncari, sit et remaneat de territorio Narbone...
Archives communales de l'Aude série AA f°53, 1396
Le pech Ranmar
L'appelation "Pech Ranmar" se retrouve dans les textes jusqu'au milieu du XIVe siècle comme élément de repère. Cette trace se perd par la suite et le pech n'est plus utilisé dans les descriptions du territoire.
"... et a dicta bosola ad bosolam que est affixa in pede podii vocati Ranmar subtus bastidam domini Beinardi de Ruppefixa, legum doctoris, que olim fuit Jacobi Bandonis, et deinde sequendo bosolas usque ad iter seu viam publicam per quam itur apud Gruyssanum ...
Archives communales de l'Aude série AA 111 11e thal. f°41, 1352
Les possessions
-
Item habet in termino de Gruissano quamdam bastidam vocatam de Rayniac emptam et acquisitam per dominum nunc praesidentem, cum pertinentiis suis, stagnis, riperiis, condaminis, jurisdictione alta et bassa, vineis, pasturagiis et devesiis.
1360 - 1375: Livre vert de l'archevêché de Narbonne / publié par Paul Laurent, 1886.
Au XIVe siècle, dans les différents actes, l'énumėration des biens de la bastide est ainsi rédigée: des bâtiments, étangs, rivières, pâturages, agulles, joncasses, jardins et vignes, ainsi que condamines et devèzes. Il est aussi fait mention de réserves de chasses et de pêches. On trouve aussi en bordure d'étang des herms ou terres incultes.
Nunc vero. attento quod terre dicte bastide sunt aquose, et etiam frequenter et pluries, propter inundationem fluminis Athacis et ventorum, fructus extantes et semina in dictis prediis pereunt et submerguntur, attendentes etiam quod altere terrule dicte bastide sunt sterile. et quasi pro laborancia propter quod pereunt fructus et perduntur multociens in eisdem, ...
Vues depuis la bastide de Ranmar
Un aperçu du paysage environnant
S
Le roc de Conilhac et l'étang de Conilhac
- De conil lapin, signifie ici domaine des lapins
- podium Auderium, 1218
Ad podium Auterium, 1273
podium de Conilhaco, 1293-1396
Le roc de Conilhac
Immanquable dans le paysage, il y a eu au bronze final (-1000 à -700 av. JC) une occupation assurée du site, sans que cela perdure.
Anciennement connu au XIIIe siècle, sous le nom de pech Audier, il est fait mention en 1218 de l'exploitation du sel dans ce territoire (saline marine du pech Audier confrontée par celles de Pierre de Malvies et d'Arnaud Calvière et par une aculea).
"Subtus podium Auderium ubi vocant ad operam rotundam
Archives communales de l'Aude série AA 105 5e thal. f°22, 1218
"usque ad locum vocatum Gulam Atacis seu Robinam, et medietatem podii vocati de Conilhaco,
Manuscrit MS 314, Inventaire des actes et documents de l'archevêché de Narbonne, Rocque I 96, 1293
Le roc de Conilhac côté sud
Le ténement du Pech de Conilhac était une dépendance du fief de la Leigne.
L'étang de Conilhac
Nom primitif de l'étang
à l'origine de l'étang de Bages-Sigean
Ad Stagnum Majus, 1296
Stagnum de Narbona, 1352
Stagnum majus Narbonae, 1477
L'Estan Mage, 1639
Estang de Bages, 1662
C'est dans le vaste étang dit de Narbonne (appelé auparavant étang Mage) dont fait partie l'étang de Conilhac, au nord de l'étang de Campignol, que se jetait l'Aude au bout du territoire de la Leigne.
Depuis le roc de Conilhac, l'étang de Campignol et les terres de l'ancien étang de Conilhac
Le territoire del Bruguier
Ce territoire a souvent fait au Moyen Âge, l'objet de transactions entre les habitants de Gruissan et ceux de Narbonne sur la fixation des limites et son attribution.
"Item dicti domini tractatores voluerunt quod terminale del Bruguerio,de quo supra facta est mencio, et prout confrontatur de altano cum bodula que est loco dicto castelh Pezolh deinde, descendendo versus Loniam, cum requo qui est inter dictum Bruguerium et tenentiam bastide que fuit condam Durandi Bandonis, usque ad fontem Salsum exclusive et versus Loniam.
- Le rec qui descend du lieu-dit Castel Pezoul, marque la limite entre le territoire de Bruguier et celui de la bastide de Rieumar et elle prendra plus tard, en 1634, le nom de "combe d'en Fabre". Les propriétaires de ces domaines en sont respectivement Sieur Berthelier et les héritiers de Sieur de Rouquette.
Sur la rive gauche du rec, face au Pech de Ranmar se trouvait le territoire mentionné sous le nom "terres de Fabrilhon" en 1634 .
La combe d'en Fabre délimite les communes de Narbonne et de Gruissan
Archives communales de l'Aude série AA 111 11e thal. f°53, 1396
Le territoire del Bruguier (Domaine de Bertheliers) et les étangs de Campignol et de Bages-Sigean.
O
Le fief de la Leigne
- De luènha éloigné, signifie les terres lointaines
ou
De lignum bois, par extension vaisseau
- Loina, 1222
Ad Luenham, 1324
Luenha, 1352
Lonha, 1360
Loniam, 1396
Par dela les étangs s'étendait le territoire connu, au Moyen Âge, sous le nom de l'île de la Leigne (pour rappeler son passé insulaire), fief de l'Archevêque de Narbonne.
Les confronts du fief
"In primis fuit per dictas partes concorda tum quod dictum terminale de la Luenha, de quo superius facta est mencio, quoad usum animalia depascendi et ea inmittendi aquam appellandi, ligna sindendi et alias explectandi prout confrontatur, videlicet a bastida Pétri de Lacu condam seu heredum ejus, vocata de Navauta, inclusive usque ad Gulam Atacis et usque ad Stagnuni Majus et
cum terminali domini vicecomitis, vocato Crebaolas, ex parte aquilonis et
de altano cum stagnis ipsius domini vicecomitis vocatis stanh Comtessa et Sesqueyra, et
de meridie cum stagno de Narbona, et
de circio cum flumine Atacis ...
Archives communales de l'Aude série AA f°53, 1396
- Homaige du fief de la Leigne
Rituel de reconnaissance du seigneur par le vassal - XIIIe s.
- Guillaume de Rieu, 1251
Pierre du Lac, 1256 et 1273
Raymond du Lac, 1293 - XIVe s.
- Pierre du Lac, 1317
Durand Bandon, 1317
Pierre du Lac, 1343
Pierre du Lac, 1398
Les propriétaires successifs ont régulièrement rendu hommage pour ce fief qu'ils tenaient de l'Archevêque de Narbonne:
- Reconnaissance pour la moitié de l'ile de la Leigne (du Lac),
"et medietatem dicte insule usque ad locum vocatum Gulam Atacis seu Robinam, et medietatem podii vocati de Conilhaco",
1293, Reconnaissance de la moitié de l'île de la Leigne,
Manuscrit MS314 Rocque - Reconnaissance des Condamines au terroir de la Cité à la Leigne (Guillaume de Rieu, Bandon Joncte et Durand Bandon son fils).
1317, Hommage des terroirs de la Leigne et du pech de Conilhac,
Manuscrit MS314 Rocque
A cela s'ajoute les inféodations partielles consenties par l'Archevêque de Narbonne pour y établir des salins (rive gauche: 1218 et 1306-1307).
Le fleuve Aude et la Goule d'Aude
Au dela de l'étang Sesquière, le fleuve Aude (flumine Atacis dans les écrits du XIVe siècle) marque la limite ouest (cers) du territoire de la Leigne entre Moujan et l'étang dit de Narbonne dans lequel il débouche.
La goule d'Aude
- Goule d'Aude
ancien nom de l'embouchure de la rivière Aude. - Gola d'Aude, 1221
Ad Gulam Atacis, 1329
Gule d'Aude, 1293-1639
Goule d'Aude est le nom générique désignant l'embouchure de l'Aude qui s'est maintes fois déplacée au cours de notre ère. Au XIVe siècle, suite à la crue du 13 octobre 1316, l'embouchure de l'Aude se déporte vers le Nord de l'île de Saint-Martin sans que l'on connaisse exactement l'emplacement. Cet endroit était donc appelé Goule d'Aude et permettait un accés vers Gruissan et le grau du Grazel.
N
La devèze de la Navoute, l'étang Bozard et les condamines des Olieux
La devèze de Navoute dépendait du territoire de la bastide de la Voulte et était confronté au nord par les condamines des Olieux qui faisaient parti du tènement du même nom ou se trouve le monastère des Bernardines fondé en 1204. Il est mentionné dans les écrits du XIVe siècle sous le nom Monasterium de Olivis, 1316 et 1352.
Les confronts de la devèze
"de aquilo cum condamina dicta de las Morguas, que est juxta dictam bastidam,
de circio cum flumine Atacis,
de altano cum stagno Bosar domini Guiraudi de Rivo,
de meridie cum condamina que fuit introitu terminalis de la Lonia, et sic de bodula in bodulam usque ad stagnum Bosar.
Archives communales de l'Aude série AA f°53, 1396
Le système des étangs des Basses-Plaines de Narbonne | de Moujan à Gruissan au bas Moyen Âge
La tentative de représentation du paysage autour de la bastide de Rieumar en cette fin de Moyen Âge est primordiale à la compréhension de son importance.
Si l'étendue des étangs est difficile à estimer dans le secteur de Capitoul, leur positionnement les uns par rapport aux autres ainsi que leur localisation approximative est possible par la description des confronts et la détermination des côtés adjacents des territoires/tènements des Basses-Plaines de Narbonne au bas Moyen Âge.
Le système d'étangs dans les Basses-Plaines de Narbonne au Bas Moyen Âge: hypothèse de positionnement sur fond de carte actuelle
- Entre Vinassan et Moujan | du pont de Moujan à celui de Ricardelle
Le Vesc, ancien fief de l'Archevêque de Narbonne - étang Salin
Salinae... in stagno juxta Narbonam, 844
- Entre Ricardelle et les Olieux |du pont de Ricardelle au pont des Olieux
Tènement des Olieux et
Dévèze dépendante de la Bastide de Navoute - étang Bouzard
(XIIIe ⇒ XVIIe)
Stannum Joncous sive Bosos dicte insule del Lec, 1282.
Stagnum Bosar, 1396,
Estang Bouzar, 1642 - Entre les Olieux et Capitoul
Condamines de las Morguas (des Olieux) et
Les Leignes, ancien fief de l'Archevêque de Narbonne - les étangs Comtesse et Sesquière
(XIIIe ⇒ XVIIe)
qui à la suite des modifications, atterrissements et assêchements, sera identifié au XVIIe siècle sous le nom "étang Capitoul" avec au sud l'"étang de la Gourgue".
Stagna Contessa et Sesqueyra (Cescheyra), 1352
Stanh Comtessa et Sesqueyra, 1396
Estang Comtesse et Sesquière, 1639
Capitoul, 1685 - Au sud du domaine de Capitoul
- étang de Narbonne comprenant les étangs de Conilhac, de Campignol, ...
Stagnum vocatum de Conilhaco, 1324
Stagnum vocatum Campinhol, 1396
A la lumière des plans du XVIIIe siècle
Ce n'est qu'à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, que l'on commence à avoir des plans détaillés du territoire avec ceux de Varlet Barthe (Campagne cité n°5 et n°7) puis plus tard avec ceux du cadastre Napoléonien. Sur les premiers datant de 1774-1784, on retrouve les lieux constitutifs du territoire tels que décrits dans les archives, bordant l'étang de Capitoul vestige des étangs Comtesse et Sesquière.
(1766) Carte de Saussine © VNF
(1774-1784) La Leigne & le territoire de Capitoul; Plans Varlet Barthe Campagne Cité N°5 et N°7 © Archives de Narbonne ©JL Bonincontro
(1774-1784) Le territoire de Capitoul, Plan Varlet Barthe Campagne Cité N°5 © Archives de Narbonne ©JL Bonincontro
De nos jours
Au bout de la draye de la Clape
En suivant la Palanquissa
(Les anciennes berges de l'étang de Capitoul)
Glossaire
- Le vocabulaire des terres au Moyen-Âge
- Herm ou herme: Terre inculte ou aride
De l’ancien français erm, du bas-latin herma terra; du latin erèmus, désert, du grec ἕρημος, désert. - Tènement: Terre tenue d'un seigneur moyennant le paiement d'une redevance.
Du lat. médiév. tenementum - Alleu: Terre possédée en propriété complète, opposé aux fiefs ou aux censives impliquant une redevance seigneuriale. Il s'agit donc d'une terre ne dépendant d'aucune seigneurie foncière.
Du francique alôd, latin allodium - Condamine: Propriété seigneuriale, elle désigne une terre mise en culture.
du latin condominium - Fief: Terre concédée par un seigneur à un vassal en échange d'obligations de fidélité mutuelle, de protection de la part du seigneur, de services de la part du vassal.
- Censive: Terre concédée moyennant un cens annuel payé au seigneur
- Devèse, défens (ou défends): Pâturage réservé, terre interdite au pâturage du bétail d'autrui. Du latin defensum, de l'occitan devés ou devesa
Pour en savoir plus
2. Julien Caverro Paléogéographie des étangs narbonnais d’après les sources cartographiques anciennes
3. La Médiathèque Patrimoine: Manuscrit MS 319, Inventaire général, historique et raisonné de tous les actes anciens et modernes concernant les Biens, Droits, Facultés, Libertés...chapitre de l’Eglise St Just et Pasteur. Fait et achevé le 1er jour de Juillet de l’année 1680
4. La Médiathèque Patrimoine: Manuscrit MS 314, Inventaire des actes et documents de l'archevêché de Narbonne, I1, Privilèges royaux, recopié par Antoine Rocque
5. Kojima Mina: Histoire des territoires du pâturage dans le Narbonnais (XVIe - XVIIe siècle)
6. JALABERT, Marie-Laure: Le Livre Vert de Pierre de la Jugie : Une image de la fortune des archevêques de Narbonne au XIVe siècle. Étude d’une seigneurie. Nouvelle édition. Perpignan: Presses universitaires de Perpignan, 2009